lundi 29 février 2016

M/S Sleipner : Témoignage d'un naufragé

Arnt Helge Halvorsen, 16 ans, a été l'un des derniers à être repêché vivant dans l'océan après le naufrage du M/S Sleipner en novembre 1999.
TV 2 avait recueilli son témoignage 10 ans après l'accident. Le voici.

Ça va faire 10 ans. La pensée du voyage de plus de 3 heures de Kopervik à Bergen pour visiter ma famille et mes amis m'était agréable avant. Maintenant, il m'est désagréable de seulement évoquer ce sujet. Je suis assis là et je me rejoue le film maintes et maintes fois plusieurs fois par mois. Je me souviens de tout. Malheureusement, aucun détail ne m'échappe. La vie comme tout le monde la prend, à la légère, est ce que j'ai eu de plus précieux. Je l'ai eue pendant 16 ans sans le savoir. C'était comme tout recommencer au début, comme si tout ce que qu'on a pensé et vu de soi-même avait simplement disparu, la famille qui ne me reconnait pas, les amis qui ont disparu, les amis qui ont laissé tomber.

Je suis assis là, aujourd'hui, et je pense à toutes les nuits où je suis resté éveillé, à tous les voyages avec les amis dont je n'ai pas fait partie, toutes les heures où j'ai philosophé sur la vie et pourquoi nous vivons. J'ai passé des heures assis à regarder le mur et ressenti ce que ça fait de voir d'autres personnes qui meurent. Et en même temps d'être au milieu et ne pas en tenir compte. J'ai pensé que ces gens étaient les frères et sœurs, les enfants ou les parents d'autres personnes. J'ai songé au regard de la personne et au dernier instant, aux yeux qui sont restés ouverts.

Parfois, il me vient des images comme si elles étaient prises avec l'odeur et le son. Comme lorsqu'on voit le chaos, les enfants qui pleurent, les vieux qui ont peur, les jeunes en état de choc et certains dans une pure terreur. L'odeur du diesel remplit l'air, tout est lisse et glissant et blesse les yeux. Une lumière arrive de l'horizon, le vent entre dans les vêtements, les vagues roulent et nous sommes mouillés. Le temps est humide et froid et quelque chose clignote rouge là bas dans l'obscurité. Il y a un phare. Il est 19h32 le 26 novembre 1999. Je parle ainsi clairement de l'accident du MS Sleipner.

Je pourrais rester des heures à écrire sur ce soir là qui a changé mon quotidien et ma vie et m'a changé en ce que je suis maintenant. Avant ce jour, j'étais une personne très calme et sans soucis. Je me levais, j'avais des amis, j'allais à l'école, j'avais des passions et j'y consacrais du temps. Je me couchais à une heure normale et j'étais une personne avec des habitudes quotidiennes. Mes amis savaient où me trouver et ma famille me connaissait. Ils pouvaient régler leurs montres sur mes habitudes.

La première semaine après l'accident, je n'étais pas en forme. J'ai mal dormi et mon sommeil était irrégulier. J'ai oublié la nourriture. Je n'avais pas faim. L'odeur de diesel était encore présente. J'avais de gros bleus sur le corps que personne n'a pu expliquer et ma pensée du bateau est devenu mon quotidien.

La semaine suivante, mon sommeil est devenu fragile, je n'avais qu'un repas par jour, de longues heures d'anxiété et des absences lors des conversations. Moi-même je ne remarquais pas les changements, mais ma famille a réagi à mes nouvelles habitudes. Mes amis ne m'ont pas recontacté et j'ai rompu les liens. Les gens ont réagi et un psychologue est entré en jeu.

Les semaines passent et les medias répètent encore et encore et tout le monde parle de l'accident. Tout le monde s'interroge et tout le monde a des suggestions intelligentes sur ce que j'aurais du faire. J'ai renoncé à parler de ce sujet avec d'autres personnes car ça me tirait en arrière. Ma famille a encore plus réagi. Je suis devenu peu sociable, j'ai abandonné l'école, je suis devenu plus agressif mais je garde tout pour moi. Malgré tout, je crois qu'ils ont tous réagi de façon exagérée. Je n'ai pas changé. Le psychologue conclut à un syndrome de stress post-traumatique.

C'est maintenant mon nouveau mode de vie. J'ai développé la crainte des avions, des bateaux, des trains, des bus et même m'asseoir en voiture sur un siège passager me pose un problème. Je ne fais confiance à personne. Je pense sans cesse "et si ça se casse", "pourquoi flotte un bateau" ou "comment un avion tient dans l'air". Les sujets de pensée sont nombreux. Ma confiance dans les autres et dans les choses a disparu. Je ne compte plus que sur moi-même. Ça devient frustrant et ça s'amplifie. J'en supporte de moins en moins et je rabroue ma famille et mes amis sans raison.

La famille a toujours été là pour moi mais j'ai commencé à avoir des problèmes. Mon sommeil s'est calé sur des périodes allant jusqu'à 40 heures deux fois par semaine. Ma capacité de concentration est partie lentement mais sûrement et j'ai démissionné. Quel genre de vie est-ce là ? C'est ma question principale. Je n'ai pas compris. Pourquoi moi ? 16 morts et je suis vivant. Est-ce la chance ? Etait-ce écrit ?

Alors que le temps passait, les choses se sont compliquées pour l'école et le travail. Alors que j'allais vers mes 17 ans, ma vie ne me semblait pas facile. J'étais financièrement au même niveau et mes soucis étaient plus nombreux. L'heure des comptes est arrivée. La scolarité était impossible. J'étais incapable de me concentrer sur un quelconque sujet et je ne pouvais pas répondre par manque de sommeil. J'ai tenté de travailler, mais personne ne veut de quelqu'un qui ne peut pas supporter les horaires mis en place. Plusieurs années plus tard, l'accident était plus loin, mais jamais très éloigné quand même. Chaque fois que j'entends le crissement de l'acier ou du fer, l'accident surgit de nouveau et tout me revient en mémoire. Je suis pris de frissons et j'ai des sueurs froides ou chaudes. Ça peut arriver tous les mercredi, quand le camion renverse les poubelles, comme toujours. 

L'automne est mon nouvel ennemi. La pénombre m'a déprimé, le vent a évoqué des souvenirs. L'obscurité et les vents m'ont donné tous les jours des impressions de déjà vu qui ont duré et duré. Il y a eu beaucoup de nuits sombres sur le canapé, seul, à regarder et à penser. Un mélange de manque de sommeil, de dépression et d'anxiété avant de me déplacer m'a confiné dans le passé chaque jour. Je n'allais pas dormir car je redoutais de me réveiller à nouveau avec une nouvelle rediffusion du même film encore et encore avec la même amère et incroyable fin. Jamais un dénouement heureux, juste une histoire sans fin.

Le temps a passé encore et j'en suis là. Mes amis et mes connaissances ont fini leurs études, acheté des appartements, des maisons et des voitures. Ils commencent leur journée de bonne heure, vont travailler et rentrent dans leurs foyers. Ils ont ce qu'ils espéraient. Je commence ma journée avec "Que vais-je faire aujourd'hui ?" ou "Comment vais-je éviter mon propriétaire aujourd'hui ?" Travailler était mon espoir, mais un espoir qui ne mène nulle part ailleurs qu'à la frustration et le retour en arrière, comme le reste de ma vie. Les années passent et les choses restent en place. Les journées sont longues et fastidieuses. Toujours sans travail, toujours sans culture et toujours désespérément sans rien à moi.

J'ai commencé à mieux fonctionner dans ma vie quotidienne, fait tout mon possible pour obtenir un emploi, beaucoup fait d'efforts pour rester en contact avec des amis. J'ai commencé à voir le bout du tunnel et j'ai eu un nouvel espoir de m'en sortir. Mais au fur et à mesure que le temps passait, les espérances se sont envolées l'une après l'autre et le monde m'a échappé. Je suis toujours resté silencieux, comme si on m'avait oublié dans le passé. J'ai récupéré les restes des consultations psychologiques passées et je suis reparti d'un autre pied, mais le sol est mince sous mes pas et pourtant je suis reparti avec l'idée "Sleipner" qu'est-ce que je suis allé faire dans cette galère ? 

"Sleipner" n'était plus un accident arrivé en 1999, c'était devenu un mode de vie, peut-être même un destin maintenant, des années plus tard. Dans tout ce que je faisais, j'ai donc choisi ce soir de novembre pour me donner un défi avec des problèmes mentaux, et j'ai perdu cette unique fois.

J'ai repris encore et encore, ce qui a exigé beaucoup de moi et était de plus en plus difficile. Ce qui est étrange avec le temps, c'est que lorsque quelque chose se passe si vite qu'on a à peine le temps de le faire au moment même, le reste va si lentement qu'on se souvient de tout, peu importe le temps que ça a duré. Je reste sur des souvenirs qui m'ont impressionné. La voix du capitaine qui dit "l'hélicoptère est en route, il est en route" Je me souviens encore des situations Une femme à qui un membre de l'équipage a donné sa combinaison de survie. Elle l'a mise mais n'a pas fermé la fermeture éclair. Les deux sont morts. Il a été entraîné lorsque le bateau a coulé et elle a vu sa combinaison se remplir de la mer.

Je revois tous ceux qui se sont réunis sur le pont supérieur arrière. Ils avaient peur, froid et étaient trempés. Nous avons vu les lumières, deux lumières puissantes, celles du navire jumeau M/S Draupner. Tout le monde était soulagé et s'est mis à espérer. C'est alors que le destin a pris la décision. "Sleipner" a glissé du Bloksen. Ça a été soudain. Tous se sont tenus à la balustrade. Le bruit du métal qui se tord et dont la structure se déchire et se rompt. Tout le monde se retrouve dans la mer avec le bateau. Les yeux ouverts ne pouvaient voir qu'une quantité d'écume, ce bras et de jambes qui s'agitaient. La flottabilité des gilets était puissante, mais ils sont passés à travers. La lutte contre la mer, les vagues et la puissance de l'océan commençait.

Tout était comme dans les films. Les gens autour criaient et coulaient. Ils se débattaient et avaient du mal à trouver quelque chose qui flottait. Tout le monde voulait sortir de la mer et certains y sont restés. On avait commencé à espérer, regardé les bateaux qui flottaient autour. Beaucoup de lumière et de projecteurs puissants. Tu arrives au sommet d'une vague et la lumière te tombe dessus. Tu te dis que ça y est, on t'a vu, avant que tu ne replonges et que bateau disparaisse entre deux vagues. Sur la crête suivante, la lumière est ailleurs et le bateau tourné dans un autre sens. Le courage vacille avec les sensations dans les jambes et les bras. Un homme vêtu tout en noir est venu près de moi. Il a attrapé la corde de mon gilet et a maintenu sa main coincée dans mon dos. Il n'avait pas lui-même de gilet. Il a crié à l'aide plusieurs fois et il s'est calmé. Il était calme, d'un calme absolu. L'humour noir a frappé. Que je sois damné si on ne me rembourse pas le prix du billet. J'ai payé pour Bergen et je dois nager jusqu'à la maison alors que nous ne sommes pas encore à mi-chemin ?

Je pensais beaucoup. A mon beau-père mort six mois plus tôt, à ma famille à la maison. Si ce jour était vraiment mon dernier jour. Après un long moment dans la mer, j'ai perdu la notion du temps. Mes bras et mes jambes n'étaient là que pour bouger mais je ne le savais pas. La lumière des bateaux environnants m'a touché plusieurs fois. Je m'en fichais. Le froid, qui avait d'abord été comme un coup de poignard dans le corps, me faisant frissonner et claquer des dents était devenu une chaleur incroyablement agréable.

Je n'étais plus glacé. Je me sentais comme si je pouvais y rester jusqu'au lendemain. Il était devenu secondaire d'être secouru. Qu'ils me trouvent ou non, c'est la vie.

Après environ 50 minutes et une dérive d'un peu plus de 1,2 kilomètres due à la houle dans la mer froide de novembre, l'hélicoptère Sea King m'a repéré. J'ai vu les lumières sur moi, j'ai entendu le son intense des pales du rotor comme s'il venait de l'intérieur de mon corps. Une homme-grenouille a sauté dans l'eau tout près de moi. Il repasse la corde perdue du gilet qui était autour de moi.

L'homme en noir flottait un peu plus loin, le dos en l'air et la tête sous l'eau. Je me réveille à ce moment. C'est ainsi qu'est le temps après l'accident et il n'a pas de fin.

samedi 27 février 2016

Du nouveau dans l'affaire du Scandinavian Star

L'ancien inspecteur maritime danois Flemming Thue Jensen a affirmé dimanche dernier, 21 février 2016, qu'il sait qui est responsable de l'incendie criminel qui a tué 160 personnes sur le ferry Scandinavian Star dans la nuit du 6 au 7 avril 1990.

Flemming Thue Jensen avait été envoyé sur le navire comme représentant officiel danois, avec son collègue Valter Douwe Egberts-Hansen. Ils avaient une approbation ministérielle pour se déplacer dans tout le navire, et ils sont montés à bord les premiers après que les pompiers ont éteint le dernier feu.
Ils ont du enjamber les cadavres dans les couloirs et les cabines calcinées pour avancer jusqu'au centre du Scandinavian Star. Un spectacle épouvantable qu'ils n'oublieront jamais.

C'était le dimanche, 8 Avril 1990. Le navire était à quai dans la ville suédoise de Lysekil. Il avait brûlé pendant 38 heures. 

Pour la première fois en 26 ans, Flemming Thue Jensen rompt le silence et nous dit que les incendies ont été commis intentionnellement et de manière professionnelle. Il accuse formellement deux membres de l'équipage du navire. Il fait valoir que les incendiaires savaient qu'il n'y avait qu'un seul endroit sur le navire par où on pourrait aspirer de l'air venant de l'extérieur du navire et qu'il se situait sur le pont garage. Toutes les portes sur le chemin de l'air étaient bloquées en position ouverte. Commander la fermeture des portes coupe-feu depuis la passerelle était donc impossible.

Il a néanmoins déclaré que par manque de confiance dans l'enquêteur principal, il refusait d'être interrogé par la police norvégienne.

Après cette déclaration, la police norvégienne dit qu'elle va demander l'autorisation à la police danoise d'interroger Flemming Thue Jensen.
Il est à noter que l'ancien chef de l'autorité maritime danoise, Knud Skaarberg Eriksen, a également indiqué plus tôt cette semaine qu'il avait donné à la police norvégienne quatre noms d'auteurs possibles derrière le feu du Scandinavian Star mais que la police norvégienne n'a même pas pris la peine de les écrire. Cependant, il est prêt à donner à nouveau ces informations si on les lui demande.

Rappel : c'est l'actuel procureur général Tor Aksel Busch qui a dirigé l'enquête initiale sur l'incendie du Scandinavian Star et empêché toute nouvelle étude sur ce qui est l'un des plus grand crimes connus actuellement en Norvège. Le groupe de soutien a malgré tout obtenu que l'enquête soit rouverte en 2015.